Leicester vainqueur de la Premier League : leçons économiques.

Leicester, c’est l’histoire que vous connaissez, celle d’un petit Poucet que les bookmakers cotaient à 5000 contre 1 et qui a fini par emporter le titre du championnat de football le plus regardé dans le monde et le plus fort économiquement (à mon sens, il est sportivement sûrement surestimé, mais c’est une autre histoire).

Et si nous nous intéressions à cette histoire d’un point de vue moins courant, celui de l‘investisseur ou de l’économiste (voire le sociologue). On peut en effet en tirer au moins 3 conclusions de cette histoire de football :

  1. La confirmation de la théorie des cygnes noirs.
  2. La possibilité d’acheter des biens à un prix inférieur à leur valeur.
  3. Le cadre mental de la compétition dans le sport à l’opposé du cadre de mental de la compétition qui prévaut dans la Société en général.

1. La confirmation de la théorie des cygnes noirs.

Les bookmakers donnaient en début de saison Leicester champion à 5000 contre 1 pour la saison 2015-2016. Ils anticipaient donc la victoire d’une équipe avec un tel budget (le 12ème de Premier League en début de saison, l’équipe ayant par ailleurs flirté avec la relégation la saison précédente) comme survenant une fois tous les 5000 ans. Pourtant, la dernière fois qu’une équipe avec un budget d’aussi faible rang avait remporté le championnat datait de moins de 40 ans : il s’agissait de Nottingham Forest en 1979. Derby County en 1974 est un autre exemple d’un petit club de foot accédant au graal. C’est donc effectivement une situation rare, mais toutefois moins rare qu’une fois tous les 5000 ans…

Les bookmakers ont ainsi laissé quelques plumes dans cette affaire. D’ailleurs, quand ils ont constaté après la trêve que Leicester ne faiblissait toujours pas, ils faisaient tout pour limiter les dégâts en essayant de racheter leur pari aux parieurs qui avaient misés sur Leicester.

L’attribution des cotes dans le sport n’est pas un processus totalement scientifique : par opposition à la roulette par exemple, où on connait la probabilité de sortie de chaque numéro parfaitement. Il n’y a pas non plus un historique infiniment long de données de résultats d’où l’on pourrait tirer des probabilités parfaites et avérées. Un facteur humain entre donc en jeu pour la détermination des cotes.

Nous avons évoqué en détails la théorie des cygnes noirs de Nassim Taleb dans ce précédent article. En résumé, elle explique que la probabilité de survenance des évènements rares est systématiquement sous-estimée. Voici un extrait de l’article en question :

Un cygne noir est l’illustration d’un biais cognitif. Si on ne rencontre que des cygnes blancs, on déduira rapidement que tous les cygnes sont blancs. Cela peut néanmoins être une erreur : ainsi dans ce cas, c’est justement ce qu’ont longtemps cru les européens avant de faire la découverte de l’existence des cygnes noirs en Australie. En théorie, seule l’observation de tous les cygnes existants pourrait nous donner la confirmation que ceux-ci sont bien toujours blancs, ce qui en pratique est impossible. Il nous donc paraît plus aisé de supposer hâtivement qu’ils sont tous blancs, dans l’attente éventuelle de voir la théorie infirmée par l’observation d’un cygne d’une autre couleur. Ainsi, nous construisons beaucoup des raisonnements qui nous conditionnent à partir d’inductions similaires. Ceux-ci se basent donc sur des informations incomplètes, ce qui peut nous conduire à aboutir à des conclusions erronées.

[…]

Pour Taleb, ce n’est pas parce qu’un évènement n’est jamais arrivé qu’il ne pourra pas arriver.

L’expérience de pensée suivante aide à intérioriser ce message. Supposons que vous participiez à un jeu de hasard qui a 999/1000 chance de gagner 100 € [Evénement A] et une 1 chance sur 1.000 de perdre 1.000.000 $ [Evènement B]. L’utilisation de quelques calculs simples montre qu’on doit statistiquement en attendre une perte d’environ 900 € (multipliez les probabilités par le résultat pour chaque événement, puis additionnez-les).

Avec un tel schéma, seriez-vous prêt à parier quelques fois de suite ? Taleb soupçonne que la plupart des gens considèrent la fréquence ou la probabilité dans leur décision, mais cela est totalement hors de propos. Notamment en matière d’investissement boursiers. Ils se focalisant sur la probabilité de l’évènement alors que seule l’espérance de gain/perte devrait compter. Selon Taleb, même des gens comme les MBA et les économistes avec une formation statistique ne parviennent pas à comprendre ce point. L’ampleur du résultat devrait pourtant être le seul facteur pertinent dans la décision.

Ainsi, les bookmakers et autres sites de paris en ligne, en laissant parier des gens à 5000/1 contre eux sur le titre de Leicester se sont placés dans cette situation, et ont pu alors enregistrer des pertes imprévues. Ils ont raisonné en termes de fréquence et probabilité plutôt qu’en espérance de gain, ou plutôt qu’en regardant ce qui se passerait concrètement si l’évènement survenait. Et ils se sont ainsi mis en péril financier. D’ailleurs, la leçon a porté ses fruits car pour la saison prochaine, aucune équipe n’a pour l’instant une côte supérieure à 200/1 chez les bookmakers en activité…

2. La possibilité d’acheter à un prix inférieur à la valeur.

Comme dans un style d’investissement gagnant de type “value”, les dirigeants de Leicester ont cherché des joueurs sous-cotés, dont le prix était inférieur à la valeur, pour constituer une équipe avec les moyens dont ils disposaient.

Leur méthode employée par les recruteurs de Leicester peut d’ailleurs à mon sens faire écho à l’excellent film Moneyball (titre français : le Stratège), inspiré d’une histoire vraie, cette fois-ci dans le baseball, et où cette recherche d’actifs-joueurs à un prix inférieur à leur valeur avait pour la première fois tenté d’être mise en place d’une manière quasi-scientifique.

Acheter un actif à un prix inférieur à la valeur est donc une méthode, qui outre ses bons résultats en investissement, peut être efficace lorsqu’elle est bien menée dans le sport.

3. Le cadre mental de la compétition dans le sport à l’opposé du cadre mental de la compétition qui prévaut dans la Société en général.

Si on s’étonne autant de l’exploit de Leicester et de la surprise associée, c’est parce que le sport européen est un système ultra-capitaliste. Les clubs les mieux classés drainent le plus de revenus, et deviennent ainsi encore plus puissants. Les différences de budgets entre clubs du haut et bas de tableau sont énormes, et seuls les clubs les plus riches sont ainsi supposés gagner.

A l’inverse, le système sportif américain (NFL, NBA) est beaucoup plus redistributif. Dans ces sports américains, il existe le système de draft qui permet aux équipes les moins riches de prendre de bons joueurs, ou le “salary cap” qui impose un plafond à la masse salariale des clubs et limite ainsi la course à l’armement. Au final, la corrélation entre dépenses et succès, même si elle peut exister, y est par conséquent moins nette que dans le sport européen.

En fin de compte, la mentalité dans le sport professionnel en termes de compétition est à l’opposé de celle qui prédomine dans la Société :

  • Aux Etats-Unis, on a plutôt une égalité d’opportunité dans la Société américaine (tout le monde a sa chance au départ), mais avec peu de parachutes en cas d’échec. Au contraire dans le sport américain, on a plutôt une égalité de résultat, avec un système visant à corriger a posteriori les égalités et redistribuer quelques cartes. De plus, les ligues sont fermées, sans descente dans la division inférieure.
  • En Europe, c’est l’inverse. On tend plutôt vers une égalité de résultat dans la Société européenne avec un système plutôt protecteur et redistributif a posteriori (mais sans égalité d’opportunité au départ, car les castes et le népotisme sclérosent encore beaucoup la Société européenne). Au contraire, dans le sport, c’est le capitalisme total avec une égalité d’opportunité, mais sans parachute et avec des rétrogradations en division inférieure qui peuvent conduire à la faillite des clubs les plus affaiblis.

La victoire de Leicester peut ainsi donner de l’espoir à ceux qui n’ont pas les meilleures cartes en main. Même en partant de rien, avec le système européen assez inégal en opportunité, il y a donc espoir de parvenir à faire mentir  la cote initialement défavorable !

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1 réflexion au sujet de « Leicester vainqueur de la Premier League : leçons économiques. »

  1. le cygne noir, c’est quand on confond déduction et induction.
    le premier part d’une règle pour déterminer un fait,
    le second par du fait pour élaborer une règle : le risque d’erreur est alors beaucoup plus grand… Mais est évolutif.

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