Du choix du capitaine : l’exemple de Warren Buffett

Quand on choisit une action en bourse, il est préférable d’avoir confiance dans le management de l’entreprise. A travers la lettre envoyée par Warren Buffett à ses managers de Bershire Hathaway, nous comprenons que c’est un bon capitaine. C’est ce même style de dirigeant qu’il faut idéalement rechercher à la tête des entreprises dont vous achetez les actions.

 

Quand on investit dans une entreprise, le management a son importance. Dans l’idéal, nous souhaitons avoir un management :

1. Qui focalise sur l’allocation du capital, comme nous l’évoquions avec le 3ème style gagnant.

2. Un management qui nous inspire confiance. En effet, a fortiori quand on fait le choix d’un portefeuille concentré, on confie à ce management une somme d’argent importante et espère donc qu’il saura en prendre soin.

L’historique du management ou de l’entreprise peut nous éclairer sur le point n°1. Le point n°2 reste plus subjectif.

Berkshire Hathaway, le conglomérat de l’investisseur de génie Warren Buffett est désormais un mastodonte. Si on peut en attendre encore un rendement très correct dans les prochaines années, ses milliards de capitalisation font qu’elle ne triplera pas en 10 ans. Un fonds qui gère des milliards peut, tout comme moi, également investir dans Berkshire Hathaway. Par conséquent quand j’investis dans cette entreprise je n’utilise pas sur cette ligne de mon portefeuille le style value qui profite de mon agilité d’investisseur individuel “sans contraintes”, et que j’affectionne par ailleurs.

Néanmoins, quand je relis le mémo que Warren Buffett a envoyé il y a quelques mois aux managers des entités opérationnelles de Berkshire, je me dis que sur cette ligne j’ai pleine confiance en le capitaine à qui j’ai confié mon argent. Je l’ai traduite ci-dessous et vous le laisse découvrir.

J’ai mis quelques numéros, sur des points que je commenterai ci-après.

Mémo envoyé par Warren Buffett à ses managers :

De Warren Buffett aux managers de Berkshire Hathaway

Ceci est ma lettre biannuelle pour ré-insister sur les top-priorités de Berkshire et avoir votre aide au sujet des plans de successions (la vôtre, pas la mienne !). (0)

La top-priorité – surpassant tout le reste, y compris les profits – est que chacun d’entre nous continue avec zèle à préserver la réputation de Berkshire Hathaway. Nous ne pouvons pas être parfaits, mais nous pouvons essayer de l’être. Comme je l’ai dit dans ces mémos depuis plus de 25 ans « Nous pouvons nous permettre de perdre de l’argent – même beaucoup d’argent. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de perdre en réputation – même une once de réputation ». Nous devons continuer à mesurer chacune de nos actions au regard de non seulement ce qui est légal, mais aussi au regard de ce que nous voudrions qu’il en soit relaté à la Une d’un journal national par un journaliste inamical mais honnête. (1)

Parfois, vos associés vous diront « Tous les autres le font ». Ce raisonnement est quasi-systématiquement mauvais s’il sert de justification principale à une décision de business (2). Et il est totalement inacceptable pour évaluer une décision morale. Quand quelqu’un offre cette phrase comme justification, en fait il reconnait ne pas être en capacité de présenter une bonne raison. Si des gens vous donnent cette explication, dites-leur de l’essayer auprès d’un reporter ou d’un juge et de voir si cela les emmène très loin.

Si vous voyez quelque chose dont la convenance ou la légalité vous fait hésiter, assurez-vous de m’appeler. Toutefois, il est hautement probable que si une situation donnée causait une telle hésitation, elle serait trop près de la ligne blanche et devrait être abandonnée. Il y a plein d’argent à se faire au centre du court. Si un acte donné vous semble trop près de la limite à ne pas franchir, considérez juste qu’il est en dehors et oubliez le.

En corollaire, faites-moi savoir promptement si une mauvaise nouvelle significative survient. Je peux gérer les mauvaises nouvelles, mais je n’aime pas les traiter après qu’on les a laissées s’envenimer un certain temps. Une réticence à faire face immédiatement à une mauvaise nouvelle est ce qui, à Salomon, a transformé un problème qui aurait pu être géré en un problème qui a presque causé la faillite d’une entreprise de 8000 employés. (3)

Quelqu’un aujourd’hui à Berkshire est en train de faire une chose dont ni vous ni moi ne serions heureux si nous venions à en avoir connaissance. Cela est inévitable : nous employons plus de 330 000 personnes, et les chances que ce nombre passe la journée sans un seul mauvais comportement sont nulles. Mais nous pouvons avoir un immense impact sur la minimisation de ces activités, en sautant immédiatement sur chaque chose dès lors qu’il y a la moindre odeur d’inconvenance. Votre attitude sur ces problématiques, exprimée aussi bien par l’attitude que par les mots, sera le facteur le plus important dans la manière dont la culture de notre entreprise se développera.

La culture, plus que les livres de règles ou règlements internes, détermine comment une organisation se comporte.

Sur les autres aspects, parlez-moi des affaires courantes aussi peu ou aussi souvent que vous le souhaitez. Chacun d’entre vous fait un travail de 1ère classe en conduisant nos opérations avec votre propre style, et vous n’avez pas besoin de mon aide. Les seuls sujets dont vous devez parler avec moi sont ceux qui concernent les acquisitions et les dépenses d’investissement inhabituellement importantes. Mais j’aime lire, donc vous pouvez m’envoyer tout ce que vous pensez qui pourrait m’intéresser. (4)

———————–

J’ai besoin de votre aide en ce qui concerne la question de la succession. Je n’attends la retraite d’aucun d’entre vous, et j’espère que vous vivrez tous jusqu’à 100 ans (110 ans dans le cas de Charlie !). Mais juste au cas où ce ne serait pas le cas, envoyez moi juste en quelques mots qui vous recommanderiez pour vous remplacer si vous veniez du jour au lendemain à ne plus être en capacité. Ces lettre ne seront lus que de moi-même, et éventuellement de mon successeur si ce n’est plus moi qui dirige Berkshire à ce moment-là. Synthétiser les forces et faiblesse de votre principal candidat, et incluez si vous le souhaitez autant d’alternatives que vous le voulez. Merci pour votre aide sur cela. (5)

Merci pour la façon dont vous dirigez vos business. Vous rendez mon travail facile.

Warren Buffett

PS : une autre requête mineure. Refusez SVP toutes les propositions pour moi de faire un discours, faire des contributions, intercéder avec la fondation Gates etc. Parfois, ces requêtes pour que vous agissiez comme intermédiaire seront accompagnées d’un « ça ne peut pas nuire de demander ». Ce sera plus facile pour chacun de nous deux si vous répondez simplement « non ». Comme faveur supplémentaire, ne suggérez pas qu’à la place ils m’appellent ou m’écrivent. Multipliez 80 entreprises ou plus par le périodique « Je pense qu’il pourrait être intéressé pour celui-là » et vous comprendrez pourquoi il est mieux de dire non fermement et immédiatement. (6)

Fin du mémo de Warren Buffett


Mes commentaires sur les leçons de Buffett à ses managers :

Après cette saine lecture, reprenons donc avec quelques commentaires de ma part sur cette prose de l’oncle Warren :

(0) Warren Buffett ayant 85 ans, on notera qu’il ne manque pas d’humour.

(1). Avec un tel discours, on peut penser que Berkshire n’est pas une entreprise qu’un procès amènera à la faillite ;). Mais surtout, derrière le discours du capitaine, on sent une façon de vivre basée sur des principes. Ce n’est plus seulement que l’on a confiance de lui avoir confié notre argent, c’est qu’on en devient carrément fier.

(2) Le rappel est intéressant. Combien d’entreprises ont été mises en péril, juste en se diversifiant (se dispersifiant comme disait Peter Lynch) dans des choses, juste parce que le voisin ou le concurrent le faisait (avec des atouts différents) ?

(3) La transparence du management, y compris sur ce qui ne fait pas plaisir. Quand on étudie une entreprise, et donc l’historique de ses rapports d’activités, parfois on voit que les nouvelles qui ne font pas plaisir sont annoncées en temps et en heure en toute transparence. Et parfois (plus souvent ?), tout est censé aller bien dans le rapport sur papier glacé de fin d’année, avant qu’on annonce une catastrophe quelques mois après.

(4) On retrouve aussi l’autonomie laissée sur tout ce qui est management opérationnel (« dites-moi en autant ou aussi peu que vous voulez »). Seules les décisions d’allocation de capital sont centralisées et doivent remonter au headquarter. C’est un management typique d’Outsider, comme je l’explicitais dans l’article « Le 3ème style gagnant en bourse ».

(5) Pour ceux qui doutent de ce qu’il adviendra de Berkshire Hathaway après la mort de Warren Buffett, on peut penser que vu comment il veille à ce que la succession de ses managers soit préparée bien en amont, il s’est aussi très bien occupé d’anticiper la sienne…

(6). Ce qui transparait ici, c’est le pouvoir de savoir dire non. Chose si rare, que nous-autres INTJ connaissons bien, mais qui semble si minoritaire dans ce monde. Y compris dans le monde des dirigeants, qui ont parfois du mal à refuser de se mettre en valeur, à refuser une opération de croissance destructrice de valeur pour l’entreprise (mais bénéfique pour leur aura), à refuser du chiffre d’affaires supplémentaire même à ROI négatif etc.

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1 réflexion au sujet de « Du choix du capitaine : l’exemple de Warren Buffett »

  1. J’en connais beaucoup de Warren Buffett. Une grande partie des citations de ton livre Investir en bourse : styles gagnants, styles perdants ne m’étaient par exemple pas inconnues.

    Mais là tu me fais découvrir quelque chose que je ne connaissais pas de Buffett, un autre aspect. Et c’est une nouvelle facette encore bien sympa et riche d’enseignements !

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